Affaire Microsoft du 17 septembre 2007

Par Yassine SLIMANI et Kendy TERRERO

Dans un arrêt en date du 17/09/2007, le Tribunal de première instance des communautés européennes a dû statuer sur un problème d’articulation entre le droit de la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence.

L’affaire opposait un géant du système d’exploitation à savoir la société Microsoft et un concurrent beaucoup plus modeste la société Sun microsystem. En l’espèce, suite au refus du leader américain de communiquer à Sun microsystem les spécifications techniques relatives aux systèmes d’exploitation Windows et d’utiliser ces spécifications pour développer et commercialiser des systèmes d’exploitation concurrents, cette dernière avait déposé une plainte devant la Commission Européenne pour abus de position dominante. La Commission européenne fut saisie afin d’apprécier l’existence d’un tel abus de la part de Microsoft. Elle a constaté une violation par Microsoft de l’article 82 du Traité CE sur le fondement de l’abus de position dominante et l’a condamné au paiement d’une amende de 497 millions d’euros et, à la mise en place de mesures correctives de son comportement abusif. MICROSOFT a donc formé un recours de la décision de la Commission devant le TPICE, lequel a confirmé la décision de la Commission Européenne.

Le tribunal estimait que l’abus de position dominante était caractérisé par le refus de communiquer les informations relatives à l’interopérabilité d’une part, et par la pratique de vente liée du système d’exploitation avec le lecteur multimédia, d’autre part.

Le tribunal rappelait tout d’abord que le fait, pour une entreprise détenant une position dominante, de refuser d’octroyer à un tiers une licence pour l’utilisation d’un produit couvert par un droit de propriété intellectuelle ne saurait constituer en lui-même un abus de position dominante au sens de l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Toutefois, certaines circonstances exceptionnelles d’abus de position dominante sont admises dans l’intérêt du marché.

Ce n’est que dans ces circonstances exceptionnelles que l’exercice du droit exclusif par le titulaire du droit de propriété intellectuelle peut donner lieu à un tel abus et que, par conséquent, il est permis dans l’intérêt public et afin de maintenir une concurrence effective sur le marché, d’empiéter sur le droit exclusif du titulaire du droit de propriété intellectuelle en l’obligeant à octroyer des licences aux tiers qui cherchent à entrer sur ce marché ou à s’y maintenir.

Deux comportements de Microsoft étaient effectivement en cause. D’une part le refus par Microsoft de fournir à Sun microsystem, et indirectement aux entreprises concurrentes, certaines informations techniques et d’en permettre l’usage pour le développement puis la distribution de produits concurrents aux siens sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail. D’autre part, la vente liée du lecteur multimédia Windows Media Player avec le système d’exploitation Windows pour PC, laquelle vente écartait la concurrence selon le tribunal de première instance des communautés européenne car étant fondée sur la position dominante de Microsoft sur ce marché.

Le droit de la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence sont, de prime abord, incompatibles. En effet,  l’interaction entre le droit de la concurrence et les droits de propriété intellectuelle suscite toujours des controverses, puisque ces disciplines partent de prémices apparemment contradictoires: le droit de la concurrence envisage le démantèlement de toute sorte de monopole entravant le fonctionnement du marché, tandis que la protection accordée au titre de la propriété intellectuelle consiste justement dans l’octroi d’un monopole d’exploitation. En d’autres termes, le droit de la propriété intellectuelle vise à protéger des intérêts particuliers en permettant au titulaire du droit d’interdire à tout tiers non autorisé de poser des actes qui violent ses droits exclusifs. Le droit de la concurrence a quant à lui pour objectif de préserver l’intérêt collectif et se fonde sur une logique d’ouverture. Bien qu’antinomique, stimuler et inciter l’innovation est leur point commun.

Le TPICE, en favorisant les intérêts des consommateurs, n’a pas su mettre en avant ce point commun. Pourtant, l’exclusivité dont bénéficiait la société Microsoft sur son système d’exploitation Windows ne lui donnait-elle pas le droit de ne pas divulguer certaines informations sur ce logiciel ?

Il s’agit d’une question délicate à laquelle le TPICE a répondu le 17/09/2007 en rappelant les circonstances exceptionnelles qui permettent d’écarter le droit exclusif de la société Microsoft (I) tout en les atténuants, ce qui est sans doute critiquable. (II)

I/ Les fondements de l’affaire Microsoft.

L’affaire Microsoft est une belle illustration des moyens utilisés pour contrer le droit exclusif appartenant à une société. Le tribunal de première instance des communautés européennes va exposer certains critères d’exceptions (A) et confirmer ainsi la théorie des facilités essentielles dans un arrêt fleuve (B).

A/ Les critères d’exception au droit exclusif de Microsoft.

L’abus de position dominante est qualifiée lorsque les pratiques “ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché”. Ainsi et selon l’article L420-2 du code de commerce « trois conditions doivent être réunies : l’existence d’une position dominante, une exploitation abusive de cette position et un objet ou un effet restrictif de concurrence sur un marché ». Cette définition semble complètement incompatible avec la définition du droit exclusif d’auteur dont Microsoft essaye se prévaloir pour ne pas divulguer les informations relatives à son logiciel. Selon l’article L123-1 du code de propriété intellectuelle, ce droit permet en effet à l’auteur de ce droit exclusif d’exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire. Les prérogatives patrimoniales conférées aux auteurs sont alors les droits de représentation et de reproduction ainsi que le droit de suite.

La jurisprudence communautaire considère que l’abus de position dominante découle de l’exercice même du droit de propriété intellectuelle, en l’occurrence le refus d’accorder une licence. On observe une tendance au recul du droit exclusif d’auteur.

En effet de nombreuses exceptions sont posées par cette jurisprudence. Dans la lignée des affaires Magill du 6 avril 1995 , Bronner du 26 novembre 1998 et IMS Health du 29 avril 2004,  le TPICE dans l’arrêt Microsoft utilise ces exceptions pour contrer le droit exclusif invoqué comme une arme stratégique par la société Microsoft. À noter que le TPICE refuse dès de départ de remettre en cause la question des droits de propriété intellectuelle au point 283 « Bien que les parties aient longuement débattu, tant dans leurs écritures que lors de l’audience, de la question des droits de propriété intellectuelle qui couvriraient les protocoles de communication de Microsoft ou les spécifications de ceux-ci, le Tribunal considère qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur cette question pour résoudre la présente affaire. » .

En se fondant sur les précédents jurisprudentiels (notamment l’arrêt IMS concernant les 3 conditions cumulatives), le tribunal de première instance va poser « certaines circonstances » pour que les exceptions au droit exclusif puissent être retenues. Il s’agit de déterminer les conditions pour qualifier d’abusif le refus de communiquer des informations permettant l’interopérabilité entre produits dans un marché caractérisé par des externalités de réseau :

Le refus doit dans un premier temps porter sur un produit ou service indispensable pour l’exercice d’une activité sur un marché voisin .Le critère de l’interopérabilité intervient donc. Plus le degrés de l’interopérabilité est élevé, plus l’atteinte est importante.

Dans un second temps, il doit être de nature à exclure toute concurrence effective sur le marché en cause. (arrêt de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission)

Enfin, le refus doit faire obstacle à l’apparition d’un nouveau produit pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs. Et si le tribunal rappelle la nécessité d’identifier deux marchés (le marché dominé et le marché voisin), il insiste bien sur le fait qu’il n’est pas nécessaire que le produit ou service objet du refus soit effectivement commercialisé sur un marché « réel »,  il suffit effectivement que le marché soit potentiel ou même hypothétique.

Une simple tendance à l’élimination de la concurrence suffit pour que soit caractérisé l’exception au droit exclusif de la société. La seule possibilité de s’exonérer serait de prouver une justification objective (au sens de l’article 82 CE). On sait que dans la logique de l’article 102 TFUE, la constatation de l’existence d’une position dominante n’implique en soi aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée, l’existence d’une telle position ne peut priver une entreprise dominante du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés de sorte qu’elle est en droit d’accomplir les actes qu’elle juge pertinents en vue d’assurer cette protection, à condition cependant que ces comportements n’aient pas pour objet de renforcer sa position dominante ou d’en abuser (TPICE, 7 oct. 1999, Irish Sugar, pt 112, TPICE, 30 sept. 2003, Michelin, pt 97, TPICE, 17 déc. 2003, British Airways, pt 243, préc TPICE, 17 sept. 2007, Microsoft).

Pour finir, le TPICE met l’accent sur le critère d’interopérabilité. Faute de pouvoir « dialoguer » correctement avec les PC équipés de Windows, les serveurs commercialisés par les concurrents de Microsoft n’étaient pas sur un pied d’égalité avec les serveurs proposés par Microsoft. Or, dans un marché caractérisé par l’existence d’effets de réseaux, ou « externalités de réseaux », un tel refus peut rapidement conduire à l’élimination de toute concurrence. Une externalité de réseau est un phénomène survenant dans les marchés où l’attrait exercé par un produit ou service, pour un utilisateur particulier, dépend du nombre de personnes utilisant ce même produit ou service, permettant ainsi une large communication entre eux.

Encore une fois, le tribunal a clairement privilégié l’intérêt collectif au dépens de l’intérêt particulier. En effet et d’un point de vue purement théorique, Microsoft disposant du droit exclusif d’auteur aurait du pouvoir refuser la communication de ces information, externalité ou non. D’un point vu pratique et dans l’optique d’une bonne santé du marché de l’innovation, le comportement du tribunal de première instance des communautés européennes semble excusable.

B/ La théorie des facilités essentielles reprise par le TPICE.

Quand l’accès à une ressource est essentiel pour pouvoir opérer sur un marché, le propriétaire de cette facilité peut, dans certaines circonstances être obligé de la garantir.

En effet, la théorie des facilités essentielles va concerner une entreprise en position dominante sur un marché (dans notre cas d’espèce Mircrosoft) qui, possédant une « facilité » (installation, ressource, bien, service, etc.) ne pouvant être recréée selon des moyens raisonnables, en refuse l’accès à un tiers sans raison légitime alors que cet accès est indispensable pour exercer une activité sur un marché voisin. Il a été rappelé plusieurs fois que le refus d’accès à une facilité essentielle n’est pas, en lui-même, abusif. La CJCE l’a ainsi jugé, dans son arrêt Volvo du 5 octobre 1988. En l’espèce, le titulaire d’un modèle de carrosserie automobile protégé, peut refuser d’accorder une licence à un tiers, même si celle-ci aurait permis au tiers de fournir des produits incorporant le modèle concerné. Le contraire aboutirait, en effet, à priver ce titulaire de la substance même de son droit exclusif.

Cette notion existe aussi en droit interne. On peut effectivement citer l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 4 décembre 2001 France telecom c/lectiel pour des annuaires ou encore l’arrêt du Conseil d’État du 29 juillet 2002 Cogedim c/ Insee sur des répertoires administratifs.

La TPICE se contente de reprendre cette théorie pour l’appliquer au cas d’espèce. Il est donc possible et légitime de qualifier l’affaire Microsoft de 2007 d’arrêt fleuve en la matière. La théorie est utilisée essentiellement pour des biens informationnels tant par les juges internes que par les juges communautaires, ce qui démontre que le droit de la concurrence n’a pas pour objectif d’éliminer le monopole conféré au titulaire d’un droit d’auteur. Les biens informationnels ont été définis par la doctrine, et concernent essentiellement les logiciels et les bases de données ou toute information brute.

La rencontre du droit d’auteur et du droit de la concurrence résulte de la patrimonialisation des droits de propriété intellectuelle. La nature même de ces œuvres utilitaires justifie l’intervention du droit de la concurrence. In fine, Microsoft étant un leader en matière de système d’exploitation ne pouvait échapper à la théorie des facilités essentielles et donc à une limitation de son droit exclusif. Il est cependant intéressant de se demander pour quelle raison le TPICE a assoupli ces critères relatifs à l’application de cette théorie. N’est-ce pas critiquable ?

En effet Frédéric Pollaud Dullian, professeur de l’université de Paris 1, avait souligné « la fragilité des droits de propriété intellectuelle face à un droit essentiellement jurisprudentiel, donc mouvant et qui fabrique et adapte ses propres concepts en fonction des finalités qui ne sont pas celles de la propriété intellectuelle ».

II/ Une continuité jurisprudentielle ayant pour socle la notion de facilités essentielles.

Prenant comme substrat la notion des facilités essentielles, le TPICE va interpréter très souplement les critères d’exception au droit exclusif (A) ce qui est critiquable. En effet, un tel arrêt pourrait avoir des conséquences aléatoires pour l’avenir du droit de propriété intellectuelle (B).

A/ Un assouplissement arbitraire de ces circonstances exceptionnelles.

Dans l’affaire Magill, des entreprises de télévision avaient refusé de communiquer à la société Magill TV Guide Ltd des informations indispensables pour lui permettre de publier un guide hebdomadaire de programmes TV. Cet arrêt montre pour la première fois en Europe que le droit d’auteur peut céder lorsque les intérêts des consommateurs sont en jeu. Cependant, d’un point de vue critique,  comment une législation nationale peut-elle en arriver à protéger un contenu d’information brut dépourvu, à la différences du système d’exploitation de Microsoft, de toute originalité ?

Dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt Bronner qui pose la condition de marché dérivé, point 112 supra, la Cour, saisie d’une question préjudicielle en vertu de l’article 234 CE, avait été invitée à se prononcer sur le point de savoir si le fait pour un groupe de presse, détenant une part très importante du marché autrichien des quotidiens et exploitant l’unique système de portage à domicile de journaux à l’échelle nationale existant en Autriche, de refuser, contre une rémunération appropriée, l’accès audit système à l’éditeur d’un quotidien concurrent, ou de n’y consentir que si celui-ci achetait au groupe certains services complémentaires, constituait un abus de position dominante contraire à l’article 82 CE.

Enfin, dans l’affaire IMS Health, la société IMS Health qui proposait une étude de marché sur la vente de produits pharmaceutiques reposant sur une structure géographique divisée en modules, avait refusé d’octroyer une licence sur ces données à un concurrent.

Dans ces trois affaire et avant l’arrêt Microsoft, le critère « certain » était retenu concernant l’exclusion de la concurrence. Avec cet arrêt du TPICE, une exclusion hypothétique suffit.

De plus, comme déjà évoqué précédemment, il n’est pas nécessaire que le produit ou service objet du refus soit effectivement commercialisé sur un marché « réel », le marché peut être potentiel ou même hypothétique.

Les trois critères relatifs à la communication des informations techniques ont donc été interprétés assez souplement. Microsoft avait ainsi longuement insisté sur le fait qu’il était techniquement possible de mettre au point des serveurs capables de dialoguer avec le parc de PC équipés de Windows, sans recourir à l’information en question. C’est l’existence d’externalités de réseaux sur ce marché, couplée à la « super-dominance » de Microsoft sur le marché des systèmes d’exploitation pour PC, qui aura emporté la conviction des juges, fût-ce au prix d’une interprétation apparemment assez souple des critères posés dans la jurisprudence IMS. Les 3 précédentes affaires citées ci dessus concernait un marché différent beaucoup moins lucratif que celui exploité par la société américaine.

On peut dire que l’enjeu était de taille pour la Commission, dont la crédibilité en matière de contrôle des concentrations avait été spectaculairement ébranlée en 2001-2002 par une série de revers retentissants (TPICE, 11 juill. 2007 Schneider Electric/Legrand ; CJCE, 15 févr. 2006). Il s’agissait d’éviter la réitération de pareils déboires en matière de sanction des abus de position dominante.

C’est ainsi que de nombreux critères posés par les arrêts précédents ont été assouplis par le TPICE qui n’a pas hésité à suivre la commission pour condamner la société américaine.

Cela est vivement critiquable d’un point de vue d’une part de l’égalité des chances. En effet, il clair que le fait que Microsoft réalise un revenu annuel de 60,42 milliards de dollars sur l’année 2007-2008 a joué en sa défaveur. Ainsi et même si le TPICE a écarté la présence d’un lien entre l’abus de position de dominante et les droits exclusifs de Microsoft sur le fondement de l’article 102 TFUE, il est clair que le poids économique de la firme Étatsunienne a été le critère déterminant de condamnation. L’assistant Attorney General américain, en charge des questions de concurrence au ministère de la justice, n’a pas hésité à publier le jour même où l’arrêt était rendu un communiqué très critique, soulignant qu’aux États-Unis « les lois antitrust sont appliquées pour protéger les consommateurs, en protégeant la concurrence, pas les concurrents »

Dans le même sens, la condamnation d’INTEL en juin 2009 montre la volonté de la commission européenne de combattre fermement les pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des nouvelles technologies. La société INTEL a en effet été sommée de payer une amende record de 1,06 milliard d’euros pour infraction aux règles « antitrust » du traité sur la Communauté européenne relatives à l’abus de position dominante.

Les biens immatériels deviennent un enjeu économique important, c’est la raison pour laquelle l’équilibre est mal mené car la dimension économique des droits d’auteur augmente considérablement.

D’autre part, si la doctrine des facilités essentielles est justifiée et acceptable dans son application originaire à des infrastructures matérielles qui relèvent par nature du secteur public (tels des port, aéroports, gare, etc.), on a en revanche beaucoup plus de mal à trouver un fondement qui puisse justifier de l’appliquer à des biens relavant de la propriété intellectuelle. En matière de propriété intellectuelle, la création du bien, et donc le pouvoir de marché que détient le détenteur de par la création de ce bien, est dû aux efforts et investissements privés de ce détenteur, non à des efforts ou investissements public.

En ce qui concerne la vente liée, il convient ici de rappeler que le fait de lier la vente de deux produits n’est pas en soit critiquable, c’est le fait de profiter de sa position dominante ,et indirectement de son droit exclusif,  sur le marché du produit liant (en l’espèce le système d’exploitation Windows) pour s’approprier un marché voisin (en l’espèce le marché des lecteurs multimédias). En défense, Microsoft soutient que le couplage des deux produits en cause n’empêchait pas le téléchargement et l’utilisation de logiciels concurrents. Là encore, le TPICE parle d’ « un risque significatif que la vente liée de Windows et de Windows Media Player conduise à un affaiblissement de la concurrence ». L’hypothétique est décidemment le cheval de Troie de cet arrêt.

Néanmoins, le TPICE, reprenant la position de la Commission, considère qu’une simple tendance à l’élimination de la concurrence suffit et que l’abus est par conséquent caractérisé. Là encore, le TPICE fait une interprétation assez souple de la règle, laquelle s’explique sans doute par le particularisme de l’affaire. En effet, il faut garder à l’esprit qu’il s’agit de Microsoft, société en position « ultra » dominante sur un marché particulier qui est celui des systèmes d’exploitation.

B/ Les conséquences d’un tel arrêt pour l’avenir.

L’arrêt Mircrosoft pourrait avoir des retombées négatives notamment en matière d’innovation. En effet, on pourrait assister à une diminution de l’incitation à créer, concernant aussi bien l’entreprise qui détient la facilité essentielle (car celle-ci sait désormais qu’elle risque d’être contrainte de partager les fruits de son investissements créatif) que les entreprises concurrentes (ces dernières savent qu’il leur suffira de demander l’accès à la ressource pour en bénéficier.)

Cependant,il faut atténuer ces propos en prenant en compte le contexte. Le Tribunal a en effet pris grand soin de rappeler que le principe fondamental reste celui, même pour une entreprise en position dominante, de choisir ses partenaires commerciaux (pt 331).

A cela, s’ajoute encore le caractère trop incertain et flou de conditions d’application de la théorie des facilités essentielles dont l’interprétation toujours plus large qui en est faite par la commission européenne et le tribunal première instance des communautés européennes fait craindre le pire en terme de prévisibilité et de sécurité juridique(ainsi, par exemple dans l’arrêt Microsoft, le TPICE considère que le simple risque suffit à remplir la condition d’exclusion de concurrence et d’autre part, que l’apparition de nouvelles fonctions à un produit remplit la condition liée à l’apparition d’un nouveau produit).

On est face à des législations nationales en matière de propriété intellectuelle qui s’ouvrent à des domaines où la notion de créativité est de plus en plus limitée, et des offices de brevets qui accordent des brevets en grande masse. Le droit de la concurrence essaye de contenir les débordements du droit de la propriété intellectuelle, en ayant recours à ses propres instruments, instruments malheureusement pas toujours adaptés au droit de la propriété intellectuelle, en témoigne la notion des facilités essentielles.

De plus, en acceptant au sein de la notion d’œuvre de l’esprit les logiciels et autres bases de données, le législateur a opéré un glissement du critère d’originalité, témoin de la personnalité de l’auteur, vers un critère purement économique : l’investissement.

Le véritable danger serait de voir peu à peu le droit d’auteur s’absorber dans le droit de la concurrence rejoignant le système du Copyright. On serait alors proche de la théorie du « fair use » qui suppose qu’une atteinte au droit d’auteur peut être justifiée dès lors que le public y trouve un intérêt.

Sarah ABDELMALEK