Par Marie BASTIAN et Justine PATE-KOENIG
La nécessité d’une protection juridique des créateurs est une idée des temps modernes. C’est au XVIIIème siècle que naît le droit d’auteur. Avant cela, le talent des artistes était mis au service du pouvoir, et la notion de protection était, de fait, inexistante. Au Moyen-âge, les œuvres des artistes ne sont reliées à aucun droit, les artistes travaillaient seuls et répondaient à des commandes. La Renaissance voit apparaître quelques figures d’artistes individuels, tels que Michel Ange ou Leonard de Vinci. Aux XVIIIème et au XIXème siècle, le droit d’auteur commence à être reconnu par la société. Avec l’invention de l’imprimerie et surtout la mise en place de la société marchande, l’art est devenu un bien économique. Après la disparition des Mécènes, l’auteur a dû demander un statut de travailleur et des droits sur ses œuvres qui étaient alors devenues des objets du commerce. L’évaluation du talent s’est mise en place.
Au XXème siècle, l’auteur a un statut véritable, des législations nationales et européennes prolifèrent sur le droit d’auteur. Les droits voisins sont définis. C’est pendant cette période qu’on voit naître les prémices de la licence légale. La mise en place de la protection des œuvres de l’artiste apparaît comme nécessaire avec l’invention du gramophone. La fixation des interprétations engendre la création d’un système de protection. Les 30 glorieuses sont marquées par une accélération des processus de la propriété intellectuelle. Le 26 octobre 1961, la Convention de Rome reconnaît des droits de propriété intellectuelle au profit des artistes interprètes. En particulier, l’article 12 de la Convention instaure le système de la licence légale, assurant une rémunération à l’artiste interprète. Ce mécanisme avait alors été conçu comme un compromis permettant d’allier les intérêts des artistes interprètes et ceux des producteurs de phonogrammes. En France, c’est avec la loi du 3 juillet 1985, dite « Loi Lang », que les droits voisins du droit d’auteur sont consacrés(article L214-1 du Code de la propriété intellectuelle). La licence légale constitue une limitation aux droits exclusifs des titulaires de droits voisins, mais cette atteinte est compensée par le versement d’une rémunération équitable et d’une redevance pour copie privée.
A la fin du XXème siècle, tout est remis en question. Les « Geeks » apparaissent, mettant le marché de la musique enregistrée sous pression. En 2000, le disque représente 90% des supports de disponibilités des œuvres. Il n’en représente plus que 45% en 2011. Le marché est profondément transformé avec l’ère du numérique et menace les cercles vertueux défendus par les sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD), aussi appelées sociétés de gestion collective, chargées de collecter les sommes dues au titre de la licence légale.
70 ans après l’arrivée de l’informatique dans notre société, 30 ans après la naissance des premiers réseaux universels d’échange d’information, nous sommes encore loin d’avoir compris l’importance de ces mutations. Beaumarchais affirmait : « L’usage est souvent un abus ». Ainsi, si on peut aujourd’hui écouter de la musique aisément, il nous arrive aussi d’en abuser. Si certains considèrent la musique comme un business plutôt qu’une œuvre de l’esprit, elle doit toutefois être protégée de ces dérives.
Depuis l’avènement d’internet et de la technologie numérique le nombre de copies de fichiers (musicaux ou cinématographiques) effectuées par les utilisateurs a abondement augmenté, sachant que la moitiLes é de ces copies proviennent du réseau Internet.
Cette évolution des pratiques au niveau de la copie de fichiers est due aux nouveaux moyens de reproduction mis à disposition par Internet et aux avantages offerts par la technologie numérique par rapport à l’analogique.
La vitesse de transmission, la compression des fichiers et le développement de réseaux d’échange entre internautes permettent désormais un accès permanent à des bibliothèques de données gratuites à une échelle planétaire et ce, de manière quasi instantanée. De plus les habitudes des utilisateurs à l’égard de la copie privée se sont considérablement modifiées au regard du développement de technologies de reproduction de fichiers en ligne.
Désormais les utilisateurs souhaitent accéder gratuitement à tous les fichiers qu’ils désirent et pensent pouvoir en bénéficier grâce à la reproduction en ligne de copies privées, leur permettant de copier n’importe quel fichier à des fins personnelles.
Pour la plupart des titulaires de droits d’auteur le téléchargement en ligne est à l’origine des pertes subies par l’industrie musicale ou cinématographique ces dix dernières années. Selon eux Internet renforce et accroît les risques liés à la protection de leurs droits ce qui met en lumière la question des pratiques de reproduction d’œuvres rendues possibles par Internet. Ce régime devrait-il être modifié ? Ces nouveaux supports devraient-ils être soumis aux redevances ?
Parallèlement à ces interrogations les titulaires des droits d’auteur ont réagit en mettant en place d’autres mesures de protection dans l’objectif de mieux contrôler l’accès et la copie des œuvres numériques. Or la légitimité de ces procédés reste controversée car portant atteinte directement à l’exception de copie privée instaurée par le Code de la Propriété Intellectuelle et au principe de l’utilisation normale des œuvres.
L’objet de cet exposé est de mettre en lumière le régime actuel de la copie privée face à Internet et déterminer les nouveaux enjeux auxquels doivent faire face les acteurs.
PREMIERE PARTIE : L’évolution législative de l’exception de copie privée.
A) Instauration de la redevance pour copie privée par la loi du 3 juillet 1985.
1. La notion de « copie privée » au sens de la loi Lang.
2. L’évolution des supports de stockage.
3. Le système de répartition des droits.
B) Les apports de la loi du 20 décembre 2011 : les conséquences du contentieux juridique relatif à l’article L. 311-8 du CPI.
1. Exposition des faits du litige.
2. Le raisonnement du Conseil d’Etat.
3. Les conséquences de l’annulation de la décision.
4. La question prioritaire de constitutionnalité du 17 octobre 2012.
DEUXIEME PARTIE : La redevance copie privée, un équilibre menacé à l’ère du numérique.
A) Vers une suppression de la copie privée ?
1. Une redevance déficiente.
2. Le rapport VITORINO du 5 février 2013.
B) Les nouvelles menaces : le Cloud computing.
1. Qu’est-ce que « l’informatique en nuage » ?
2. La question de l’assujettissement du Cloud computing à la redevance pour copie privée.
Sarah ABDELMALEK
Présidente de l’association du Master 2 Droit des nouvelles technologies et société de l’information – promotion 2014.