Commentaire de la décision n°540 DC du 27 juillet 2006
Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information
Commentaire de la décision n°540 DC du 27 juillet 2006
Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information
La loi DADVSI ( Loi relative aux droits d’auteurs et droits voisins dans la société de l’information) a été élaborée , principalement dans le but de légitimer les systèmes de protection numérique (DRM : digital right management ou MTP : mesure techniques de protection) et d’apporter une réponse circonstanciée et graduée au problème du téléchargement massif des internautes ( plus de 80% des internautes déclarent posséder des films ou de la musique copiée) : le but est d’adapter la législation sur les créations culturelles et le monde de l’internet. Cette loi vise notamment à transposer la Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
Prise dans l’urgence, les nombreuses contestations qui furent avancées ne surprirent personne et le texte ne pouvait rester intact: la saisine portait à la fois sur des questions de fond et de procédure. La décision qu’il nous est ici demandé de commenter a été rendue par le conseil constitutionnel le 27 juillet 2006 et modifie , au travers de la censure de certaines dispositions de cette loi , substantiellement la teneur de celle-ci , avant qu’elle ne soit adopté définitivement le 1er AOUT 2006 : cette décision se caractérise par la censure de plusieurs dispositions mais également par un certain nombre de réserve d’interprétation et tout de même la validation de certaines d’entre elles ;son contrôle s’effectue à la suite d’un recours déposé par plus de soixante députés .
Cette décision dont, l’étude portera sur des points essentiellement relatifs à la Propriété Intellectuelle présente certainement un intérêt majeur pour les spécialistes du droit constitutionnel et ceux de la procédure parlementaire :
Elle réaffirme en effet que le Conseil Constitutionnel n’a pas à contrôler les dispositions qui transposent fidèlement une directive communautaire sauf si celles-ci ,vont à l’encontre de notre Constitution : les juges rappellent en effet que lorsque des dispositions législatives , ayant pour finalité de transposer une directive communautaire sont contraires à celle-ci , les juges doivent la déclarer contraires à l’article 88-1 de la Constitution (considérant 30).Une autre particularité qu’il convient de souligner , concerne la validation de la procédure d’adoption de la loi : l’article premier avait été retiré puis réintroduit dans le texte définitif alors que des amendements avaient été apportés afin de lui substituer une disposition quelque peu différente ; en principe , l’irrégularité n’aurait pu être couverte mais ce fut finalement le cas ; il convenait d’évoquer ces points qui font partie intégrante de la décision en question mais auxquels notre étude ne s’attachera pas spécifiquement.
En dehors de ces deux points précédemment évoqués, la décision présente de nombreux intérêts et porte sur différents points de droits : prenant en compte le problème de l’interopérabilité, du droit d’auteur, du peer to peer ,mais également des mesures techniques de protections ainsi que d’autres problématiques; c’est pourquoi, un exposé pertinent nécessite une certaine sélection, afin de ne pas se noyer dans « listing » non argumenté des nombreux points sur lesquels les juges ont statués :
Ainsi, si la décision présente la particularité de placer le consommateur dans une situation juridique instable et confuse (I),elle rappelle le respects de certains principes fondamentaux, comme le droit de propriété et les règles du procès pénal (II)
I L’UTILISATEUR PLACÉ DANS UNE SITUATION D’INSECURITÉ JURIDIQUE
En effet la décision du Conseil Constitutionnel est pour le moins surprenante, tant elle place le consommateur dans une situation à la fois floue et désavantageuse pour celui-ci : cela s’analyse à travers la validation par les juges du test en trois étapes (A) mais également au regard de la question du droit « à l’interopérabilité ». (B) et des quelques incohérences qui peuvent être relevées au fil de la décision.
A La validation du test en trois étapes
1 Une obligation indéterminée
La validation du test en 3 étapes est pour le moins sujette à controverse : non transposé dans plusieurs pays comme l’Allemagne, par exemple, le législateur français a cru bon devoir le transposer : et le Conseil Constitutionnel de le déclarer conforme à la constitution : la première discussion s’articule autour du point de savoir si le test doit être effectué par le juge : si dans un premier temps le conseil constitutionnel considère que « s’agissant de dispositions inconditionnelles et précises » , il ne lui appartient pas de se prononcer , il considère dans un second temps que ce test s’adresse aux juges et pas seulement au législateur : c’est précisément cela qui fait polémique : la doctrine est majoritairement unie à ce sujet et considère que celui-ci s’adresse aux Etats afin de déterminer en amont un système d’exception ( cf. : Professeur André Lucas : « le triple test a été conçu , aussi bien dans la convention de Berne que dans l’accord ADPIC , comme étant destiné aux Etats « ) ; il semblerait que l’obligation communautaire découlant de la directive imposait plutôt ce test aux législateurs pour leur permettre d’instaurer des exceptions à l’exercice du droit d’auteur : la saisine faisait grief à toute personne voulant bénéficier des exceptions aux droits d’auteurs et droits voisins le respect d’une obligation légale indéterminée et impossible sous peine de condamnation pour contrefaçon : c’est l’obligation dite du test en trois étapes :trois conditions sont posées :il doit s’agir d’un cas spécial , qui ne doit pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou des objets concernés et ne pas causé un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires de ces droits( ce test trouve son origine dans la convention de Berne, à l’article 5.5 de la directive du 29 mai 2001 et au nouvel article 122-5 du CPI) .
2 Une obligation néfaste que le consommateur ne peut correctement apprécier.
Or, le test en 3 étapes constitue une obligation pour les législateurs nationaux et l’examen de la conformité à ce test ne saurait relevé du consommateur comme le préconise le Conseil;quand bien même, le problème est de permettre au consommateur de pouvoir déterminer s’il respecte ou non cette obligation : l’insécurité juridique est largement souligné par la doctrine : Ainsi le professeur Valérie Bénamou souligne :
« L’appréciation in concreto du triple test en fonction de l’impact économique a posteriori de l’usage visé par l’exception peut s’avérer extrêmement déstabilisante pour l’usager …. Comment l’utilisateur peut-il mesurer en son âme et conscience l’impact économique dévastateur de sa copie ? »
L’imprécision du texte, à travers des critères laissant place à une interprétation variable, est fruit d’une incertitude qui place le consommateur dans une situation peu confortable : l’utilisateur n’est pas à notre sens réellement en mesure d’apprécier s’il fait d’une œuvre une utilisation licite ou illicite , d’autant plus qu’il n’est pas certain qu’il dispose de tous les moyens nécessaires pour l’apprécier: l’objectif de clarté de la loi semble ici faire défaut .La mise en relation de ce texte face aux mesures techniques de protection laisse à penser qu’au travers de la possibilité du blocage de la copie privée pour éviter un éventuel préjudice ,l’interdiction de l’exception de copie privée pourrait devenir une condition d’exploitation normale de l’œuvre. Une incohérence, toujours néfaste pour le consommateur, peut être relevée à l’étude de l’article 16 ;il s’agit notamment de l’inintelligibilité reprochée par les auteurs de la saisine en ce qui concerne la conciliation entre l’exception pour copie privée et les prérogatives des titulaires de droit, qui peuvent désormais limiter celle-ci :en effet,le système est désormais composé d’un principe ,et d’une exception désormais amoindrie. D’autre part , le flou juridique dans lequel est plongé le consommateur ne cesse de s’accroître au vu des distinctions peu définies entre « les fins personnelles » et « l’usage privé du copiste « justifiant l’accès licite à l’œuvre.
B Le droit à l’ interopérabilité en question
1 L’impossibilité de saisir l’Autorité garante de l’interopérabilité
L’interopérabilité s’entend comme le fait que plusieurs systèmes,puissent communiquer et fonctionner ensemble, peu importe leur similitude ; et l’objectif d’interopérabilité était l’un des objectifs annoncé de la loi DADVSI : mais il est fait grief à la loi déférée de délaisser les premiers bénéficiaires de l’interopérabilité que sont les internautes ( plutôt les consommateurs),plus exactement de les priver d’un droit à un recours effectif devant l’Autorité de régulation des mesures techniques crée afin de garantir cette interopérabilité (considérant 13 et 14): l’autorité qui en est garante ne peut être saisie par le consommateur !cela est réservé aux seuls industriels ; cela semble aberrant puisque à travers cette disposition , le législateur prive le consommateur d’un droit au recours alors même qu’il aurait un intérêt légitime à agir , l’absence d’interopérabilité étant de nature à lui porter préjudice , que ce soit au regard du droit d’accès du public à la culture , ou bien même au regard du droit de propriété sur des œuvres légalement acquises : il n’y a aucune violation du droit d’auteur , simplement la volonté d’user pleinement d’une chose dont on à légitimement acquis la propriété : ainsi , l’intérêt à agir doit faire face à l’interdiction de saisir l’autorité adéquate.
2 L’exception supprimée
En revanche le Conseil censure l’absence de définition de la notion aux articles 23 et 24 en opposant une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines .Ainsi , l’exception au contournement des mesures de protection est supprimée en raison d’une absence de définition de la notion ( même si les propositions ne manquaient pas ).L’on ne peut contesté que la notion a besoin d’être définie, même si cela s’avère compliqué pour n’apparaître ni trop liberticide ni trop restrictive , mais cela ne saurait se faire au détriment des droits des consommateurs :l’incohérence mérite d’être soulevé , notamment au regard d’une différence particulière :le consommateur a le droit de saisir l’Autorité en question pour une question relative à la copie privée ( article 8 de la loi DADVSI) mais une incompétence de principe s’oppose à l’exercice de ce droit lorsque le problème a pour origine un problème d’interopérabilité.
Or l’objectif est tout autre : certes, le Conseil précise que les consommateurs pourront faire valoir leur droits devant des juridictions compétentes; mais ,à notre sens , la lecture de cette décision montre qu’il n’y a pas un droit individuel à l’interopérabilité mais plutôt l’instauration d’un mécanisme qui permet aux professionnels d’accéder à des informations afin de garantir cette interopérabilité.
L’interopérabilité n’est ainsi censuré que dans les articles 22 et 23 , qui excluaient l’ incrimination du contournement de mesures techniques à de telles fins : cette exception là , mais que les termes de l’exception au profit du libre est ainsi supprimée.
Il apparaît ainsi , à travers l’étude de ces dispositions que la décision met ainsi le consommateur dans des positions délicates à plusieurs reprises, venant rendre la loi d’autant plus rigide et peu favorable au consommateur ; toutefois , elle réaffirme quand même un certain nombre de principes.
II LE RESCPECT DE CERTAINS PRINCIPES FONDAMENTAUX REAFFIRMÉ
Au fil de sa décision, le Conseil Constitutionnel rappelle le nécessaire respect des principes fondamentaux du droit pénal (A) mais également du droit de propriété (B).
A Le respect des principes fondamentaux du droit pénal
1 L’affirmation du caractère délictuel de la contrefaçon
L’on peut apprécier cet aspect à travers plusieurs points :
Tout d’abord , la censure de l’article 24 : cette disposition prévoyait que les internautes qui étaient acteurs des échanges de fichiers en violation du droit d’auteur sur Internet , par le biais des logiciels de peer to peer étaient désormais susceptible de se voir infligé une amende ( l’on parlait alors d’amende de 38 euros par exemple): l’article précité insérait dans le code de la Propriété Intellectuelle un article L 335-11 qui disposait que seront constitutives de contraventions et non plus de délits : « la reproduction non autorisée , à des fins personnelles , d’une œuvre , d’une interprétation , d’un phonogramme , d’un vidéogramme ou d’un programme protégé par un droit d’auteur ou un droit voisin lorsqu’il auront été mis à disposition au moyen d’un logiciel de peer to peer , ainsi que la communication au public , à des fins commerciales , de tels objet au moyen d’un service de communication au public en ligne lorsqu’elle résulte automatiquement et à titre accessoire de leur reproduction : les requérants soulignaient que cela instaurait une différence de traitement selon que l’on utilisait un logiciel de peer to peer ou un autre moyen de communication électronique et que le principe de légalité des délits et des peines était méconnu : le Conseil déclara que ces dispositions violaient le principe d’égalité devant la loi pénale : rien ne permettait de justifier une différence de traitement pour des mêmes comportement réalisés par le biais d’outils différents : dès lors , le Conseil rappelle que le téléchargement constitue un acte de contrefaçon mais surtout qu’il reste un délit.( comme le souligne Christophe CARON , affirmé que cela puisse être constitutif d’une contravention , serait le reflet de la peu de considération du législateur envers les œuvres de l’esprit et de l’auteur.)
2 La censure de l’exception au profit du libre
Une autre disposition introduisait un article L335-2-1 au CPI qui permettait de sanctionner pénalement celui qui met sciemment à disposition du public un logiciel manifestement destiné à commettre des actes de contrefaçon mais exonère de toute responsabilité pénale les auteurs de logiciels destinés au « travail collaboratif » ou permettant l’échange de fichiers ou d’objets non soumis à la rémunération du droit d’auteur : le conseil constitutionnel , au considérant 57 de sa décision précise que cette précision ,n’est pas « utile à la délimitation du champ de l’infraction définie » et souligne que son application laisserait sans protection pénale les droits moraux « : ces dispositions sont également déclarées contraires à la Constitution , en ce sens qu’elle violent le principe de légalité des délits et des peines mais aussi le principe d’égalité.
D’autre part le Conseil se place une fois de plus sur le terrain pénal en reprochant dans ses réserves , au législateur de ne pas avoir défini la notion d’interopérabilité ; les nouveaux articles L 335-3-1,335-4-2, ,335-3-2 prévoyaient que des atteintes commises contre les mesures techniques de protection n’étaient pas sanctionné si elles l’étaient pour réaliser l’interopérabilité : en faisant ainsi une cause d’exonération de la responsabilité pénale , il incombait au législateur de mieux définir la notion , afin de ne pas porté atteinte au principe de légalité des délits et des peines : le mot « interopérabilité est ainsi déclaré contraire à la constitution .
L’on voit donc bien à travers ces trois censures, l’attachement ,qui est celui du Conseil, au respect des principes de Droit Pénal : sanctionnant, à chaque fois au nom du principe de légalité des délits et des peines alors même que les opposants aient pu soulevé la question de l’inintelligibilité)
Ce principe, consacré à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 se traduit par le fait que le champ d’application de la loi pénale se doit d’être strictement défini et il faut une clarté et une précision dans l’énoncé des infractions et des peine.
Mais si les références aux grands principes du Droit Pénal sont rappelé par le Conseil, celui-ci réaffirme également l’importance du droit de propriété et sa lecture particulière.
B Le droit de Propriété
1 Le droit de propriété, fondement de l’indemnisation
La loi en question , prévoyait que , afin de défendre l’interopérabilité , certaines personnes comme les éditeurs de logiciels ou les exploitants de services par exemple , pouvaient saisir l’Autorité de régulation des mesures techniques lorsque le titulaire des droits sur une mesure de protection refuse de lui communiquer des informations jugées essentielles : c’est que l’Autorité joue pleinement son rôle en pouvant lui permettre d’obtenir ces informations , afin de permettre l’interopérabilité : le Conseil précise alors que la communication des informations doit en contrepartie être accompagnée d’une indemnisation , au nom de la défense du droit de propriété ,car dans le cas contraire , cela irait à l’encontre de l’article 17 de la DDHC; le débat reste néanmoins ouvert sur la mise en œuvre effective d’une telle recommandation.
2 L’extension du champ d’application du droit de propriété
D’autre part la décision souligne que la nature juridique des droits d’auteur et droits voisins relèvent du droit de propriété (article 2 et 17 de la DDHC) et que « permis ces derniers figurent le droit de propriété intellectuelle et les droits d’auteur et droits voisins. (Considérant 14,15) : l’on peut légitimement s’interroger sur le bien fondée de cette extension par rapport à la conception originaire du droit de propriété consacrée dans la DDHC.
L’article 544 du Code civil français définit le droit de propriété comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par la loi ou les règlements » ; or cela semble peu approprié à la Propriété Intellectuelle et plus spécifiquement aux droits d’auteurs dans la mesure ou l’on ne peut, par exemple pas abandonner son droit moral sur l’œuvre.
D’autre part il convient de souligner que l’article 331-5, inséré par la loi du 1er Août 2006 souligne que les mesures techniques « ne peuvent s’opposer au libre usage de l’œuvre « : en effet, le propriétaire de l’oeuvre ne peut perturber la propriété du propriétaire du support : c’est dans la lignée de l’affirmation du droit de propriété que s’inscrit cet article et souligne ainsi l’attachement des juges à ce principe.
Ainsi, malgré les mesures, pour le moins contestables apportées par cette décision, les juges en profitent pour réaffirmer de grands principes, mais l’on peut néanmoins regretter que cette loi prise dans l’urgence, ne prend absolument pas tous les problèmes en compte et montre qu’une réflexion construite est nécessaire afin d’adapter la législation à l’ère des nouvelles technologies, tout en prenant en compte les problèmes sociaux inhérents à de telles avancées.
Bibliographie
CARON (Christophe), « La nouvelle loi sous les fourches caudines du Conseil » Constitutionnel, Communication Commerce Electronique, Octobre 2006, n°10.
BENABOU (Valérie-Laure), « Patatras ! A propos de la décision du Conseil Constituionnel du 27 juillet 2006 », Propriétés Intelectuelles, Juillet 2006, n°20.