La responsabilité des hébergeurs de données comporte des conditions de mise en œuvre favorables à ces derniers, en raison de leur rôle essentiellement technique. En effet, ils ne participent pas au contenu des articles, ce qui les rend responsables que sous certaines conditions visées par la loi.
L’ordonnance de référé du 29 octobre 2007 constitue une illustration du statut des hébergeurs de données. Si les médias critiquent actuellement cette ordonnance, pour la doctrine il s’agit s’une querelle dépassée (« Internet et questionnement autour des intermédiaires », Rapp L., Rev. Lamy informatique et réseaux 2007, n° 2701 et ss. ) car, depuis la directive du 8 juin 2000 et les lois consécutives, notamment la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004, il est établi que la responsabilité de l’hébergeur de données ne peut être mise en œuvre que dans le cadre de règles de procédure et de régime de responsabilité spécifiques. On est en présence d’une obligation de moyens qui n’impose pas le contrôle systématique du contenu des sites hébergés.
Au cas d’espèce, Wikimédia a été poursuivie par trois cadres d’une société sous le fondement de l’article 9 relatif à la protection de la vie privée et de la loi de 1881 quant à la diffamation. Il s’agissait d’un texte apparu sur Wikimédia qui traitait de l’orientation sexuelle du personnel d’une entreprise et ajoutait des propos à caractère diffamatoire. Les demandeurs ont saisi le juge des référés pour obtenir le retrait du texte litigieux afin que l’identité de l’auteur de l’article leur soit communiquée en vue d’une action en responsabilité.
La question qui se pose dans ce litige est celle de savoir si Wikimédia engage sa responsabilité.
La responsabilité de Wikimédia sera écartée en raison du statut protecteur du prestataire d’hébergement (I), d’où découlent les conséquences juridiques de la qualité d’hébergeur (II)
I. Le statut protecteur du prestataire d’hébergement
La qualité d’hébergeur implique des conditions particulières de mise en œuvre de la responsabilité.
A) La qualité d’hébergeur
1) La responsabilité de Wikimédia non retenue
La Fondation Wikimédia est une organisation internationale à but non lucratif de droit américain qui a pour but de soutenir le développement et la diffusion de contenu libre, et ce de façon gratuite. Elle est l’hébergeur du site Wikipédia, où les internautes participent au contenu de ce site de façon bénévole.
Au cas d’espèce, le juge des référés a été saisi par trois cadres d’une société figurant dans le site Wikipédia, M. B., P. T. et F. D. Dans une rubrique du site, il était fait allusion à la vie privée de ces personnes concernant leur orientation sexuelle et comportait, en outre, des propos diffamatoires consistant à affirmer que grâce au militantisme de M.B quant aux droits des homosexuels, elle aurait obtenu l’agrément de la DASS pour l’adoption de deux enfants. Les demandeurs ont invoqué la violation de l’article 9 du Code civil et la loi du 29 juillet 1881 dans ses dispositions relatives à la diffamation. L’article a été retiré par un internaute, mais il est resté accessible dans l’historique du site. Les demandeurs souhaitent obtenir le retrait du texte litigieux également de l’historique du site et demandent des indemnités pour le préjudice subi.
Pour se prononcer sur la responsabilité de Wikimédia, le juge va établir l’étendue de son rôle par rapport à l’article paru dans le site Wikipédia, pour pouvoir appliquer le régime juridique correspondant.
La LCEN définit la qualité d’hébergeur dans son article 6.I.1. qui consiste en la mise à disposition des utilisateurs du site de moyens pour diffuser des articles. Le rôle des hébergeurs a également été défini par la jurisprudence, qui les considère comme « les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication en ligne » (TGI Paris, réf., 25 mars 2005). Wikipédia, créée et gérée par Wikimédia, répond à ces définitions, car les articles de ce site sont faits par les internautes et Wikipédia leur sert de support technique sans participer au contenu. Ainsi, le moyen invoqué par Wikimédia relatif au défaut d’assignation, en s’appuyant sur une jurisprudence d’une société éditrice, sera donc écarté car la fondation a la qualité de prestataire d’hébergement.
Le juge va considérer que la Fondation « a agi promptement dès qu’elle a eu connaissance de manière claire et non équivoque par l’acte introductif » des contestations que les demandeurs faisaient concernant l’évocation de leur vie privée. Partant, la responsabilité de Wikimédia ne sera pas retenue car elle n’a pas l’obligation d’effectuer un contrôle à priori des articles de son site.
2) L’absence d’obligation générale de surveillance
Le prestataire d’hébergement ne participe pas à la rédaction du texte, il n’a qu’un rôle technique. De ce fait, son statut est dérogatoire au droit commun et est régi par l’article 6.I.7 de la loi LCEN de 2004. Le juge affirme qu’en vertu de cet article, « les prestataires d’hébergement ne sont pas tenus d’une obligation générale de surveiller les informations stockées, ni de rechercher des faits ou circonstances révélant des activités illicites. »
Auparavant, la jurisprudence était plus sevère à l’égard des hébergeurs de données ; une illustration est fournie par l’affaire « Estelle Hallyday » qui a retenu la responsabilité de l’hébergeur (TGI de Paris, réf., 9 juin 1998 et CA Paris, 10 févr. 1999). La jurisprudence faisait peser une obligation générale de prudence et de diligence sur les hébergeurs de données.
Le prestataire d’hébergement ne peut pas être assimilé à un rédacteur en chef, car il ne participe pas au contenu des textes. Il en découle que sa responsabilité est limitée et engagée à certaines conditions. La qualité d’hébergeur implique en outre le respect d’une procédure prévue par la LCEN qui vise les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité.
B. La procédure applicable
En dérogation au droit commun, la LCEN dans son article 6.I.2 prévoit une procédure spécifique mettant en œuvre le respect de conditions de fond et de forme.
1) La mise en demeure
Dans le cadre de la responsabilité du prestataire d’hébergement, une procédure doit être respectée pour parvenir au retrait d’un contenu sur le site. En effet, la personne invoquant le caractère illicite doit envoyer une lettre recommandée adressée au prestataire d’hébergement en indiquant les motifs qui rendent le contenu illicite eu égard aux critères posés par la loi et en joignant à la lettre le texte estimé illicite. Au cas d’espèce, cette procédure n’avait pas été respectée, car Wikimédia n’a été prévenue qu’au moyen d’un courriel. Le juge va donc retenir comme date de la connaissance du caractère illicite celle de l’introduction de l’instance.
Les règles de procédure sont complexes et leur non respect lésera les personnes qui souhaitent que des contenus soient supprimés car le texte restera plus longtemps en ligne. L’article du site Wikipédia avait été supprimé par un internaute, mais il restait dans l’historique du site, raison pour laquelle les demandeurs ont saisi Wikimedia. C’est seulement lors de l’acte introductif que l’article a été supprimé. Si la date retenue avait été celle du courriel, la responsabilité de Wikimédia aurait été engagé, en raison de l’obligation de retirer le texte « promptement ».
2) Les obligations de l’hébergeur en présence d’un texte illicite
Selon les termes de la LCEN, le prestataire d’hébergement n’engage pas sa responsabilité en principe, sauf s’il avait connaissance du caractère illicite et si, n’ayant pas connaissance de ce caractère et prévenu du contenu illicite, il n’a pas procédé à retirer promptement le texte en question. L’article 6.I.2 de la loi LCEN du 21 juin 2004 dispose que les hébergeurs « ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible”.
L’hébergeur ne reste pas dans l’impunité s’il laisse un texte illicite, dans ce cas sa responsabilité sera engagée. Le retrait du texte litigieux rend selon le juge le litige sans objet, car son comportement n’est pas fautif.
La réserve faite par le Conseil constitutionnel à la loi de 2004 (DC, 10 juin 2004), atténue davantage la responsabilité du prestataire d’hébergement en ce qu’il ajoute que le contenu doit être manifestement illicite, ou qu’un juge en ait ordonné le retrait, pour retenir la responsabilité de l’hébergeur de données. L’hébergeur va devoir apprécier si le contenu est manifestement illicite ou pas, ce qui n’est pas toujours aisé à établir. Si le juge décide que le contenu non supprimé était illicite, dans ce cas l’hébergeur devra engager sa responsabilité.
II. Les conséquences juridiques de la qualité d’hébergeur
Les conséquences de la qualité d’hébergeur se reflètent dans la limitation de sa responsabilité, ce qui a une incidence sur la liberté d’expression.
A) Une limitation de la responsabilité
1) L’évolution du statut de l’hébergeur
Avant la directive de 2000, la jurisprudence considérait que l’hébergeur engageait sa responsabilité en cas de manque de vigilance, de diligence, ou de prudence (TGI, 24 mai 2000).
La Directive du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique dans le marché intérieur (dite « directive sur le commerce électronique ») a fixé le nouveau régime de responsabilité de l’hébergeur, dans le sens d’une limitation de responsabilité. Le prestataire d’hébergement n’est pas responsable car son rôle est technique et il n’a ni la connaissance ni le contrôle des informations stockées. Ainsi, il n’a pas d’obligation générale de surveillance des informations.
La loi du 1er août 2000, modifiant la loi du 30 septembre 1986, pose le principe de l’irresponsabilité de l’hébergeur en suivant la directive du 8 juin 2000 qui sera reprise par la loi LCEN dans un souci de se mettre en conformité avec le Droit communautaire.
2) L’application de la LCEN
L’ordonnance commentée constitue une exacte application de la LCEN du 21 juin 2004 (modifiée par la loi du 5 mars 2007). L’objectif de cette loi est celui de protéger les hébergeurs contre une responsabilité qui serait entendue trop largement.
Dans le même sens, un jugement du Tribunal de grande instance de Strasbourg, rendu le 20 juillet 2007, n’a pas retenu la responsabilité de Google, par application de l’article 6.I.2. de la LCEN, dès lors qu’elle a agi avec promptitude à fin de désactiver les liens commerciaux litigieux.
Il ne s’agit pas d’exclure totalement la responsabilité des hébergeurs, mais de les considérer responsables que sous des conditions restreintes. La loi pour la confiance dans l’économie numérique considère les hébergeurs comme non responsables en principe et ce pour instaurer un rapport de confiance en faisant prévaloir la liberté d’expression.
Ceci s’explique par le fait qu’ils n’ont pas la maîtrise du contenu des articles qui sont publiés, autrement il faudrait interdire toute publication immédiate, ce qui va à l’encontre de la liberté d’expression et du concept d’internet. La LCEN fixe un régime dérogatoire au droit commun, justifié par les impératifs des nouvelles technologies qui demandent la modification des articles en temps réel par leur expéditeur, que l’on ne pourrait pas comparer à celui applicable à la presse.
B) L’incidence sur la liberté d’expression
1) Liberté d’expression et responsabilité
Cette ordonnance a été critiquée par les médias (Le Monde : « Wikipedia, ni coupable, ni responsable ») car ils estiment qu’il est essentiel de trouver un responsable.
Or, le rôle de Wikimédia justifie qu’il puisse bénéficier d’un régime de responsabilité souple. Wikipedia est une encyclopédie faite par les internautes qui concourent à créer son contenu. Renforcer la responsabilité de l’hébergeur serait lui imposer des exigences de contrôle du contenu qui seraient difficiles à réaliser.
Si la procédure pour contester un article est longue et répond à des conditions précises, elle permet aussi que l’hébergeur puisse faire fonctionner son site rapidement, sans qu’il soit perturbé par des vérifications quant au contenu des textes. Wikimédia aurait pu voir sa responsabilité engagée si elle n’avait pas enlevé le texte litigieux, ce qui montre les limites du statut de l’hébergeur. En outre, en lui donnant un rôle neutre, la liberté d’expression s’en trouve renforcée.
Il s’agit d’une ordonnance, qui se caractérise par le fait de prendre des mesures provisoires et ne pas se prononcer sur le fond. Néanmoins il est peu probable que le litige se poursuive, car la responsabilité de Wikimedia ne sera pas retenue. Cependant, l’auteur du texte pourra être poursuivi. Dans cette affaire, les demandeurs ont voulu que l’identité de l’auteur de l’article leur soit communiquée. Mais Wikimédia ne dispose que de l’adresse IP. Pour obtenir les coordonnées de cette personne il faudrait s’adresser au fournisseur d’accès qui, une fois identifié, sera poursuivi.
Les demandeurs ont voulu que l’identité de l’auteur de l’article leur soit communiquée. Mais Wikimédia ne dispose que de l’adresse IP. Pour obtenir les coordonnées de cette personne il faudrait s’adresser au fournisseur d’accès qui sera poursuivi une fois trouvée l’identité.
De la limitation de la responsabilité de l’hébergeur, il en résulte que le contenu du site sera contrôlé à posteriori par les internautes.
2) La censure confiée à des personnes privées
L’ordonnance peut être vue comme affirmant la liberté d’expression, mais il peut en aller autrement si on considère que le contrôle est confié à des personnes privées qui vont dénoncer des textes du site. D’une part, le fournisseur d’hébergement sera enclin à prévoir des systèmes de filtrage, ce qui porte atteinte à la liberté d’expression et, d’autre part, les personnes privées peuvent décider de la censure du site car en général le texte sera supprimé.
L’hébergeur doit apprécier si l’article est « manifestement illicite ». Il peut arriver que pour éviter un litige il supprime un article qui n’était pas illicite, ce qui irait à l’encontre de la liberté d’expression.
Cette ordonnance montre la complexité de cette question qui est néanmoins fixée tant par la jurisprudence que par la doctrine en ce qui concerne la responsabilité de l’hébergeur, suivant la LCEN qui est en accord avec la Directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique.